Exposition Émile Bernard sépias Saint-Malo

Exposition Émile Bernard. Sépias retrouvées

du 3 octobre au 13 mars 2021

« J’ai tenté, dans une manière à moi, de rénover ce genre pittoresque », prévenait jadis Émile Bernard en décrivant ses exceptionnelles sépias. Autrement dit, des chefs-d’œuvre en brun et noir signés par celui qui cofonda l’école de Pont-Aven et fut si lié avec Cézanne, Van Gogh et Gauguin. Reconnu comme l’un de ses plus ardents spécialistes, le Centre Cristel Éditeur d’Art présente 40 sépias du dernier des grands maîtres français.

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Œuvres exposées

Bernard, c’est quelqu’un !

Son dernier record ? 1 731 547 € chez Sotheby’s, à New York, le 15 mai 2019, pour Bretonnes ramassant des pommes, une toile signée en 1889. Sa meilleure période, paraît-il, très recherchée de prestigieux collectionneurs et des musées du monde entier. Car à cette époque, Émile Bernard, né en 1868, incarnait à lui seul l’inégalable élan de la peinture moderne. Un génie, au sens strict, qui étourdissait par son audace et sa précocité. On connaît l’accueil que lui fit Paul Gauguin à Pont-Aven, en 1888 : « Le petit Bernard est ici et a rapporté de St-Briac des choses intéressantes. En voilà un qui ne redoute rien. » Le commentaire de Vincent Van Gogh, adressé à sa sœur Wilhelmine, est passé, lui aussi, à la postérité : « Tu demandes qui est Bernard, c’est un peintre jeune — il a vingt ans tout au plus —, très original. Il cherche à faire des figures modernes élégantes comme des antiques grecques ou égyptiennes, une grâce dans les mouvements expressifs, un charme par la couleur hardie. » Sans négliger l’aveu amer et sardonique du Gauguin exilé à Tahiti (il répondait à Maurice Denis) : « On a beaucoup écrit à ce sujet et tout le monde sait que j’ai réellement volé mon Maître Émile Bernard ! peinture et sculpture qu’il (lui-même l’a fait imprimer) ne lui en est plus resté. Ne croyez pas que les trente et quelques toiles que je lui avais données et qu’il a vendues à Vollard soient à moi ; elles sont un épouvantable plagiat de Bernard. »

Tels sont les faits, attestés de bonne heure, mais demeurés longtemps inadmissibles dans l’esprit des critiques d’art et des marchands, lesquels n’acceptèrent jamais ce qu’il faut regarder, ensuite, comme une impensable, une fracassante métamorphose : la conversion d’Émile Bernard à la peinture classique ! Autrement dit, dans la fin des années mille huit cent, l’abandon des couleurs pures et des aplats qui mèneront rapidement les artistes vers le fauvisme puis vers les monochromes et l’abstraction. L’abandon, en somme, d’incontestables facilités, pour se confronter aux uniques modèles, aux uniques sommets capables de l’inspirer : les géants du passé. C’est son inoubliable cri jeté aux pieds du Tintoret : « Grand Dieu de la peinture, fais-moi Dieu comme toi ! » Ou ailleurs, face à la majesté étincelante des fresques de Véronèse, cette ardente prière : « Génie, donne-moi du génie ! » Parce que dans un siècle qui n’avait d’yeux que pour Picasso, tel était devenu l’irréductible et brûlant Émile Bernard : le premier peintre classique de son temps ! À la vérité, une vocation définitive, qu’on ne saurait mieux qualifier de « religieuse ». Est-il besoin de rappeler combien cet homme s’avouait profondément mystique ? Mais c’était également un charnel exigeant, inépuisable, auquel on doit certains des plus admirables nus, des plus frémissants, de toute l’histoire de la peinture ! En quelque sorte, l’éternel désir de transmutation du plomb en or, voire la lutte entre le bien et le mal qu’il prolongeait devant son chevalet, voulant sans cesse atteindre sa propre vision du « beau »… Son travail à l’encre, à l’eau et au pinceau, ses puissants et merveilleux lavis, dont quarante ont été exceptionnellement rassemblés pour cette vingt-cinquième exposition du Centre Cristel Éditeur d’Art, son travail à la sépia s’inscrit dans cette veine. « J’ai tenté, dans une manière à moi, de rénover ce genre pittoresque », devait-il expliquer à Andries Bonger (le beau-frère de Théo Van Gogh), en septembre 1927, au retour d’une présentation de ses dernières œuvres à Bruxelles. La preuve, encore une fois, que cet incomparable virtuose se dévouait corps et âme à son sacerdoce. Et la preuve que Gauguin, finalement, avait tout compris : « Je crie sur les toits : ‘‘Faites attention au petit Bernard, c’est quelqu’un.’’ »

Christophe Penot
Éditeur d’art