
Exposition Alain Bailhache. Vents d’ouest et rêves d’Orient
Du 18 octobre 2025 au 10 janvier 2026
C’est peu dire qu’Alain Bailhache (1937-2025), Peintre Officiel de la Marine, possédait un imaginaire singulier. Et sans doute fut-il le seul à mêler le monde des Mille et une nuits, sa richesse, ses ors et sa poésie, aux paysages de la Côte d’Émeraude qu’il aimait à la façon d’un trésor. Peintre de Saint-Malo, de ses remparts, de ses malouinières, de ses navires et de ses plages. Peintre, inimitable, de ses horizons, de ses ailleurs…
Œuvres de l’exposition Alain Bailhache. Vents d’ouest et rêves d’Orient
Alain Bailhache, sans pareil
Alain Bailhache, sans pareil Nous pourrions, à son sujet, évoquer une grande dame… Oui, une grande dame, illustre et distinguée, qui ne reçoit qu’à ses heures… Sur sa porte, un nom prestigieux, quasi académique : l’association des Peintres Officiels de la Marine. Et, dans ses couloirs, quarante chevaliers servants, rassemblés sous un uniforme bleu, parfaitement coupé. Le 1er mars 1997, lorsqu’il fut invité à rejoindre leur corps, Alain Bailhache goûta, assurait-il, « l’une des plus fortes joies de [s]a vie »… Non pas que ce natif de Guéret fût tellement marin. À la vérité, il ne connaissait de la mer qu’un modeste balcon ouvrant sur la Côte d’Émeraude, à la sortie de Dinard, où il avait acquis une villégiature. Mais il était peintre — un peintre authentique, ce que Jean-Claude Trichet appelle joliment des « seconds maîtres ». Au point qu’il avait été adoubé par l’un des meilleurs artistes que l’on pût croiser dans les ports : l’immense Albert Brenet, dont le Centre Cristel Éditeur d’Art, à Saint-Malo, eut le bonheur d’accrocher les gouaches, pour une rétrospective, en mars 2021.
Chacun a vu le travail d’Albert Brenet : enlevé, farouche, musclé — cro-qué sur le vif ! Nous devinons son étonnement quand il s’arrêta, au détour d’une exposition, devant les tableaux d’Alain Bailhache : exactement tout ce que lui-même ne faisait pas ! C’est-à-dire une peinture appliquée, patiente, méticuleuse, léchée et retouchée à maintes reprises, comme les feuilles des enlumineurs chez le duc de Berry. Ou comme les candélabres des orfèvres au Moyen Âge. Du reste, l’intéressé, formé au dessin à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, ne cachait pas qu’il avait un pen-chant instinctif pour l’art précis des miniaturistes, et que ce penchant s’était naturellement renforcé en 1967, lors de sa découverte de l’Iran. Date clé dans son existence, dans sa carrière : conquis par cet Orient qui n’était pas celui des mollahs, mais celui des Mille et une nuits encore vraisemblables sous le règne de Mohammad Reza Pahlavi, shah d’Iran, Alain Bailhache décida d’y vivre et d’y enseigner, pendant douze ans, comme professeur d’architecture intérieure à l’École des arts décoratifs de Téhéran. Voilà pour le côté cour, le côté officiel : des fastes, des ors, des lumières, des couleurs vives et l’éclat scintillant propre aux nombreuses mosaïques. Côté jardin, des scènes de genre qu’il cueillait sur n’importe quelle place, dans n’importe quelle rue. Il était prêt.
Prêt à quoi ? Tout simplement prêt à endosser la livrée, beaucoup moins courante qu’on l’imagine, des peintres que l’on reconnaît au premier coup d’œil ! Et s’il est indéniable que l’institution des Peintres Officiels de la Marine a compté dans ses rangs des monstres sacrés (de Félix Ziem à Paul Signac, de Maxime Maufra à Mathurin Méheut, de Marin-Marie à Albert Marquet), il va de soi qu’elle a aussi agréé des artistes que rien ne différenciait. Créateurs aimables, certes, signant de leur ancre des milliers de vagues, de bateaux, d’horizons percés par la tache claire d’une voile — tous pareils. Tandis qu’Alain Bailhache, avec son style singulier de conteur byzantin, était et demeure immédiatement identifiable… Impossible de s’y tromper ! Sitôt qu’il prenait une plume ou un pinceau, ce Breton d’adoption, qu’il dessinât l’Orient ou qu’il peignît les bords de Rance, qu’il s’attachât aux paysages ou à la vie des passants, cet illustrateur-né donnait le jour à des œuvres qui ne pouvaient être que de lui ! Œuvres très colorées, brillantes, charmantes, discrètement sensuelles. Œuvres élégamment naïves, dans la vieille tradition médiéviste. « Après que la Flandre, au XIVe siècle, a greffé sur l’observation malicieuse et candide des enlumineurs français son amour pour le vrai paysage, pour le vrai visage humain scruté dans leurs détails les plus menus et les plus lourds, la synthèse est à peu près faite », expliquait Élie Faure dans son Histoire de l’art.
En quelque sorte, c’était nous parler déjà d’Alain Bailhache. Alain, décédé le 2 février dernier à 87 ans, auquel le Centre Cristel Éditeur d’Art est heu-reux de rendre, avec cette exposition « Vents d’ouest et rêves d’Orient », un coloré, chaleureux et vibrant hommage.
Christophe PENOT