Exposition Aquagravure. Grands maîtres en relief

Du 25 mars au 1er juillet 2023

Il n’est pas donné à tout le monde, dans l’histoire de l’art, d’être reconnu comme l’inventeur d’une technique. Stricto sensu, dans le secret des ateliers, Pablo Picasso n’a jamais rien inventé ; se confiant à des mains savantes, celles des potiers, des émailleurs, des taille-douciers ou des lithographes, il s’est seulement appliqué à laisser courir son génie, apportant sa gloire à la tradition du multiple. Qu’aurait-il pensé, en 1989, s’il avait été encore au travail, et s’il avait rencontré Bernard Pras, l’inventeur de l’aquagravure ? On se plaît à imaginer la scène… D’un côté, le petit homme au visage rond, aux yeux sombres, vifs, mobiles, pareils à ceux d’un faune ou d’un torero. De l’autre, donc, Bernard Pras, trente-sept ans à l’époque. Un artiste, lui aussi, sorti diplômé en 1974 de l’École des beaux-arts de Toulouse. Son espoir, tandis qu’il entamait sa carrière ? Peindre et photographier l’univers. Peindre, photographier mais également innover, car cet amateur d’estampes réfléchissait à une technique nouvelle, capable d’éveiller des tirages limités, numérotés et signés un à un.

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L’exposition en photographies

Aquagravure. Grands maîtres en relief

Il n’est pas donné à tout le monde, dans l’histoire de l’art, d’être reconnu comme l’inventeur d’une technique. Stricto sensu, dans le secret des ateliers, Pablo Picasso n’a jamais rien inventé ; se confiant à des mains savantes, celles des potiers, des émailleurs, des taille-douciers ou des lithographes, il s’est seulement appliqué à laisser courir son génie, apportant sa gloire à la tradition du multiple. Qu’aurait-il pensé, en 1989, s’il avait été encore au travail, et s’il avait rencontré Bernard Pras, l’inventeur de l’aquagravure ? On se plaît à imaginer la scène… D’un côté, le petit homme au visage rond, aux yeux sombres, vifs, mobiles, pareils à ceux d’un faune ou d’un torero. De l’autre, donc, Bernard Pras, trente-sept ans à l’époque. Un artiste, lui aussi, sorti diplômé en 1974 de l’École des beaux-arts de Toulouse. Son espoir, tandis qu’il entamait sa carrière ? Peindre et photographier l’univers. Peindre, photographier mais également innover, car cet amateur d’estampes réfléchissait à une technique nouvelle, capable d’éveiller des tirages limités, numérotés et signés un à un. On aurait pu lui répondre qu’il existait, pour ce faire, la gravure sur bois, pratiquée en Chine depuis le VIIe siècle. Qu’il existait la gravure sur métal, laquelle vit le jour à Florence, au XVe siècle. Qu’il existait la lithographie, progressivement perfectionnée, entre 1795 et 1799, par un crève-la-faim merveilleux, le Bavarois Aloys Senefelder. Enfin, qu’il existait en outre les aplats colorés de la sérigraphie, remis à la mode par les trublions du pop’art américain… Mais il se trouve, précisément, que Bernard Pras ne goûtait guère l’utilisation uniforme des aplats. De quoi rêvait-il, lui, face à l’inconnu d’une feuille blanche ? De couleurs plus soutenues. De couleurs plus vibrantes. Couleurs ébouriffées et ruisselantes, à l’instar d’une femme qui secouerait lentement sa chevelure sous un cercle de lumière. Couleurs chaudes, noueuses et musclées, moins peintes que sculptées. Pour tout dire, des peintures en relief !

On le voit : un projet fou, portant le nom inaccoutumé d’aquagravure ! Un projet que l’intéressé développa peu à peu, dans l’esprit des artisans qui font et défont, guidés tantôt par leur instinct, tantôt par la matière. Sans oublier, bien sûr, l’élan naturel des enfants dessinant dans le sable, leurs doigts consciencieux formant des creux et des bosses, des nuances, des repentirs. Est-ce à cela que songea Bernard Pras lorsqu’il se tourna vers Jacques Bréjoux, fabricant de papiers rares installé au Moulin du Verger, au sud d’Angoulême ? Quoi qu’il en soit, ces deux passionnés s’entendirent sur un procédé sensationnel : la création simultanée de la gravure et du papier ! En l’espèce, la création par un artiste d’un bas-relief en cire appelé à servir de matrice (étape 1). Puis, à partir de cette œuvre, la réalisation d’un moule pour effectuer les tirages (étape 2). Puis la mise en couleur, au pinceau, dudit moule, suivant le modèle original (étape 3). Puis, sur un tamis, le dépôt d’une pâte à papier spécialement préparée, délayée, couchée à la main (étape 4). Pose du moule sur la pâte à papier et pressage, cinq minutes durant, pour figer dessin et couleurs (étape  5). Retouches et rehauts de couleurs (étape 6). Puis le patient séchage, pendant cinq longues semaines (étape 7), avant que le peintre ne vienne plaquer l’accord final : sa signature — celle des plus grands !

Pour sa trente-troisième exposition, le Centre Cristel Éditeur d’Art de Saint-Malo est immensément heureux d’accrocher sur ses murs les aquagravures d’Eduardo Arroyo, d’Erró, de Peter Klasen, Hervé Di Rosa, Antonio Seguí, Speedy Graphito, Jacques Villeglé. Vingt estampes, jamais exactement identiques (on croirait des jumeaux vivant chacun leur vie propre !). Et sept artistes ô combien réputés, ô combien admirés, que les musées montrent partout sur la terre. Génie d’une technique. Génie des hommes.

Christophe Penot
Éditeur d’art