Zoya Lerman tableau du mois lavis d'encre L'Ukrainienne

L’UKRAINIENNE

de Zoyla Lerman

Ce n’est certes qu’un lavis supplémentaire, dans un monde qui en a vu peindre des millions depuis que les hommes ont eu le génie de laver l’encre par l’eau. Mais pourquoi celui-ci, irrésistiblement, attire l’œil ? Pourquoi cette femme campée sur l’écran d’une feuille semble nous interpeller, sinon nous inviter à la suivre ? Son port de tête, sans aucun doute, à la fois sensible et altier… Et cette manière qu’elle a de saisir les plis de sa robe puis de tourner déjà les épaules, comme s’il s’agissait pour elle de se mettre en marche, d’un pas simple et juste… Car nous le remarquons aussitôt : un don inné pour la pose, magnifié par l’élégance du trait. La force tranquille. La sobriété. La liberté. La dignité. Du reste, n’est-ce pas ainsi qu’il faut considérer cette égérie ? Une Ukrainienne d’hier, une Ukrainienne d’aujourd’hui. Un personnage habité, que l’on ne peut se défendre d’aimer.
En quelle année Zoya Lerman, formée aux beaux-arts de Kiev, a-t-elle signé ce lavis ? L’histoire ne le dit pas. Mais il suffit de songer qu’elle est née dans une famille juive, en 1934, pour deviner ce que fut son enfance… Deux folies successives, le nazisme et le communisme. Et, aussi pesant que les portes de l’enfer, le souvenir des massacres de Babi Yar, où 33 771 Juifs, vieillards, hommes, femmes et enfants, furent anéantis par les hordes d’Hitler. Que la jeune Zoya Lerman, de fuite en fuite, ait pu en réchapper tient évidemment du miracle. Et qu’elle ait pu, à l’âge adulte, devenir peintre tient du destin. « Elle fait partie de la deuxième vague de l’avant-garde, l’underground, qui émerge en Ukraine dans les années 1960 et 1980 comme une forme de résistance radicale contre le totalitarisme et l’autorité soviétique », explique le site ArtMajeur. Autant que le résumé d’une œuvre, chacun y verra le résumé d’une vie, fière et libre.
Différentes peintures de Zoya Lerman sont conservées à Kiev, au National Art Museum of Ukraine et au Museum Modern Art of Ukraine. Pour la plupart, des toiles colorées, allègres, brossées avec une générosité non feinte. Devons-nous en conclure que l’artiste, disparue en 2014, croyait qu’il convient sans cesse d’espérer ? C’est ce que nous murmure, trois ans après l’agression militaire lancée par la Russie de Vladimir Poutine, cette belle et vibrante Ukrainienne. Toujours fière. Toujours libre.

 Christophe Penot