Exposition Jacques Berland. Éloge d’un petit maître

Du 17 décembre 2022 au 18 mars 2023

C’était en 1955 ; il avait 37 ans. On l’imagine tel qu’il devait être à cette époque, et tel qu’il s’est d’ailleurs peint dans un superbe autoportrait : un homme aux cheveux noirs, au visage fin, à l’élégance discrète. Dans le détail, le gris d’un complet, le col d’une chemise, le nœud d’une cravate — mais surtout, pour nous fixer doucement, deux grands yeux sombres sous de lourdes paupières, deux grands yeux qui semblent étonnés…

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L’exposition en photographies

Éloge d’un petit maître

C’était en 1955 ; il avait 37 ans. On l’imagine tel qu’il devait être à cette époque, et tel qu’il s’est d’ailleurs peint dans un superbe autoportrait : un homme aux cheveux noirs, au visage fin, à l’élégance discrète. Dans le détail, le gris d’un complet, le col d’une chemise, le nœud d’une cravate — mais surtout, pour nous fixer doucement, deux grands yeux sombres sous de lourdes paupières, deux grands yeux qui semblent étonnés… Est-ce à dire que Jacques Berland, devant le miroir comme devant ses admirateurs, évaluait le chemin parcouru ? Parce qu’il en était là désormais : un talent remarqué, auquel la galerie Charpentier avait demandé de participer à l’exposition de l’École de Paris… Pour ceux qui ne le savent pas, ou pour ceux qui l’ont oublié, il convient de rappeler ici ce que représentait la galerie Charpentier au mitan du xxe siècle : l’une des meilleures adresses du monde de l’art ! Une maison qui se faisait gloire de révéler obstinément des jeunes peintres, et de les entourer des maîtres suprêmes. Ainsi Jacques Berland goûta le bonheur d’accrocher ses tableaux aux côtés de Picasso, Buffet, Utrillo, Van Dongen, Vlaminck, Staël, Bazaine, Manessier, Vasarely. Il était lancé.

Mais lancé vers quoi ? Si on lui avait posé la question, sûr que ce fils d’agriculteur, né à Pré-Saint-Évroult, en Eure-et-Loir, aurait eu du mal à répondre… Que voulait-il en effet ? Peindre. Et donc rejoindre cette histoire de la peinture qu’il connaissait mieux que personne, l’étudiant continûment dans les musées et dans les livres. Au point même qu’à partir de 1962, cet homme demeuré cinq ans prisonnier en Allemagne, de 1940 à 1945, et qui avait eu pour marraine de guerre la dévouée et attentive Marie Laurencin, au point qu’à partir de 1962, le très érudit Jacques Berland allait devenir chargé de conférences des musées nationaux, avec une prédilection pour le Louvre ! Faut-il comprendre qu’il ne croyait plus en sa propre carrière ?

Ou faut-il plutôt affirmer, comme nous pensons devoir le faire, que cet artiste exceptionnellement exigeant avait atteint son sommet ? Toujours est-il qu’à l’âge de 44 ans, malgré une presse louangeuse et plusieurs récompenses, Jacques Berland fit le choix de renoncer à peindre. En d’autres termes, le choix de ne pas se recopier. De ne pas entrer dans un système. De ne pas perdre de vue une sorte d’absolu. Commentant cette décision en 2005, lorsque fut redécouverte l’œuvre de cet authentique petit maître, Jean-Marie Tasset, ancien directeur du service des arts du Figaro, signerait cette formule : « Pour l’idée que je me fais de la peinture, je trouve salutaire que Jacques Berland ait choisi de rester libre. »

Que laissait-il derrière lui, après quinze années d’un lent et passionné labeur ? Un millier d’esquisses, la plupart nées dans l’atelier de Jean Souverbie, son professeur à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. De nombreux dessins, notamment des encres et des sanguines. Quelques aquarelles, quelques gouaches. Et puis, bien entendu, des centaines et des centaines d’huiles sur toile… Des natures mortes. Des portraits. Des scènes d’intérieur. Des paysages. Des tableaux démontrant sans relâche la solidité de son trait, celui-ci servi par un esprit curieux, indomptable. En témoigne particulièrement la période espagnole qui permit à Jacques Berland de rendre, dans un style personnel et puissant, la terre aride des montagnes de la Vieille-Castille. Une touche ferme, noble, pareille à celle du Buffet des années cinquante et soixante (le seul picturalement intéressant). Et une palette volontairement restreinte, comme s’il s’agissait, à chaque fois, de s’en tenir à l’essentiel. Décidément, Jean-Marie Tasset avait raison : « une main sensible, inspirée, qui parle sa langue propre, et qu’on écoute, subjugué. »

Christophe Penot
Éditeur d’art