Coulée verte
de Benjamin Rojouan
Que Benjamin Rojouan ne soit pas le plus célèbre des peintres rassemblés au Centre Cristel Éditeur d’Art, cela va sans dire : un « artiste de la rue et un artiste voyageur », ainsi qu’il se présente lui-même. Un artiste qui s’est offert le luxe d’accomplir à neuf reprises le chemin jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, mais qui expose sur un vieux bateau, sa seule demeure, amarrée dans le port de Saint-Malo ! Façon de confirmer, au passage, son ascendance bretonne. N’est-il pas le petit-fils d’un docker de Lorient ? Aussi insiste-t-il sur son nom, le suffixe ro signifiant défricher dans l’antique royaume de Cornouaille. Jadis, les hommes allaient « faire le ro ». Mais c’était dans un autre temps, dans un autre siècle… Pour sa part, Benjamin Rojouan, né le 29 décembre 1976 à Noyon, emprunta des voies différentes. D’abord, des études d’infirmier. Ensuite, la faculté de sports à Amiens, afin de parfaire son bagage. Et puis, cette promesse venue de loin : l’art. « Je me suis toujours senti artiste », explique‑t‑il.
Précisons : derrière ce mot ambigu, Benjamin Rojouan entend créateur. Créateur d’images. Créateur de sens. Créateur de tableaux… Au reste, s’il apprend uniquement dans les livres, en autodidacte, ce marcheur impénitent s’avère suffisamment doué, ou suffisamment sensible, pour maîtriser ce que ses jeunes confrères n’évoquent plus : la genèse du métier. La technique. La patience. Les commencements. Ce qui lui permet de concasser ses pigments puis de les mélanger avec des résines, des essences et un certain niveau de siccatif. Un art « maison », en somme, suivant une terminologie liée à des souvenirs d’enfance, quand sa mère, relieuse, coupait, déchirait, assemblait, cousait et pressait des ouvrages choisis. « J’adorais la regarder », souffle-t-il. Avant d’admettre que, des ciseaux maternels à ses propres ciseaux, il n’y eut bientôt qu’un pas, et qu’il abandonna naturellement la peinture pour devenir collagiste. « Je récupère des journaux des années cinquante, avec leurs teintes particulières, et je les incorpore au sein de photographies contemporaines. Je découpe, je fixe sur la toile, je vernis. Mon œuvre est terminée. »
Évidemment, une manière de parler ! Un raccourci. Dans les faits, Benjamin Rojouan travaille très doucement, obsédé par la nuance comme tous ceux que séduit l’art de la mosaïque. Car c’est manifestement à cette école ancestrale (la plus prestigieuse au monde se situe à Ravenne) qu’il faut relier son expérience du collage : des papiers de petites tailles, découpés dans l’esprit d’un puzzle reconstitué en rapprochant formes et couleurs. Jusqu’au moment où l’ensemble apparaît, tel le décor d’un théâtre au lever du rideau. Image forte, souvent… Pour preuve, cette Coulée verte que Benjamin Rojouan accroche au Centre Cristel Éditeur d’Art : une cicatrice émeraude. Une utilisation habile des masses et des plans. Des rehauts à la main, rappelant l’énergie d’un Combas… Voilà qui mérite, assurément, un aimable coup de chapeau !
Christophe Penot