LA CAVALCADE
de Charles Kiffer
Surréaliste, Charles Kiffer ? Ce serait beaucoup dire… Mais nous ne pouvons nier devant La Cavalcade, huile sur panneau de 88 x 115 cm, qu’il propose une vision dalínesque du décor, sinon du mouvement. Pour l’écrire simplement, une vision dépassant le réel. Un jeu chromatique éblouissant, semblant puiser dans la palette du maître espagnol. Souvenons-nous de son fameux livre d’artiste, Don Quichotte de la Manche, édité par Joseph Foret en 1957… Des jaunes aussi forts. Des rouges aussi francs. Et, synthétisant l’ensemble, la sensation d’un monde en fusion, comme si l’univers restait à créer. Évidemment, avec le génie que l’on sait, Salvador Dalí a exploité sans répit la gamme des créations, ou recréations possibles : parallèlement à cette Cavalcade, la 39e exposition du Centre Cristel Éditeur d’Art, « Dalí, surréaliste rabelaisien », en offre une modeste idée… Mais, concernant Charles Kiffer, le rapprochement s’arrêtera là. Toute son œuvre témoigne, en effet, qu’il a préféré, aux joies du surréalisme, puis aux nuits de l’abstraction, les simples beautés du quotidien. Comprenez, la vie de chaque jour, quand elle veut prendre des airs de fête.
Posons le cadre. Une naissance à Paris, en 1902. Des souvenirs fabuleux entre une mère pianiste et un père costumier. Enfance de l’art, en somme… Pour sa part, tenté par la peinture, il choisit l’atelier de Fernand Cormon, où s’étaient formés avant lui Vincent Van Gogh, Émile Bernard et Henri de Toulouse-Lautrec. Il plaît et il brille, donnant bientôt l’impression d’avoir toujours été en haut de l’affiche ! Car il y a ceci qu’il faut souligner : jusqu’à sa mort, en 1992, Charles Kiffer fut une célébrité de son temps, indissociable de ceux que l’on appelait les « stars du music-hall ». Qui devinerait, en découvrant son étourdissante Cavalcade — les chevaux, sa seconde passion —, qu’il vécut ses meilleures années aux côtés d’Édith Piaf, d’Edwige Feuillère, du mime Marceau, d’Yves Montant, de Maurice Chevalier, Charles Trénet, Marlène Dietrich ? Qu’il a également travaillé en compagnie de Brigitte Bardot ? De la coulisse, il les voyait rire, danser, jouer et chanter, puis il les enveloppait d’un long regard complice, avant de les rendre, plus vivants que nature, sur une feuille ou une toile. D’autres fois, il les gravait dans le bronze pour la Monnaie de Paris, ou bien réalisait des décors pour la scène et le théâtre. Bref, un artiste réputé, admiré, réclamé. Dans le Dictionnaire Bénézit, Jacques Busse le salue comme un peintre laissant paraître « une émotion de qualité ». Belle façon d’affirmer que Charles Kiffer sortait du commun.
Ses chevaux en liberté, dessinés ou esquissés, rapides, fougueux, flamboyants, en sont la preuve.
Christophe Penot